Avant-Critique Littérature générale

Annie Ernaux, "Le jeune homme" et "Cahier" (Gallimard et L'Herne) : Les mots d'Ernaux

Annie Ernaux - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Annie Ernaux, "Le jeune homme" et "Cahier" (Gallimard et L'Herne) : Les mots d'Ernaux

Doublement d'actualité, Annie Ernaux se voit consacrer un superbe « Cahier » de l'Herne. Elle signe aussi un récit, où l'intime se mêle à l'écrit.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 03.05.2022 à 11h00

L'œuvre d'Annie Ernaux ne cesse de nous fasciner et de nous façonner, tant son écriture, les thèmes abordés et sa personnalité, d'une incroyable liberté, la rendent unique. Elle a pourtant longuement refusé l'idée d'une « Pléiade » ou d'un « Cahier » de l'Herne, parce qu'ils induisent « un sentiment de clôture, de mausolée ». Mais le professeur Pierre-Louis Fort a su la convaincre. Selon lui, ce « Cahier » « n'est ni une somme sur une œuvre toujours en développement, encore moins un éclairage sur l'auteure : il est une plongée dans la chair des mots d'Annie Ernaux ». C'est de cette matière qu'elle est faite. Le titre de son « Quarto » est d'ailleurs révélateur : Écrire la vie. « Vivre, c'est cela pour moi » comme elle le révèle dans son Journal, dont elle nous offre des fragments aussi inédits qu'éclairants. « Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner ? » Très investie dans ce magnifique ouvrage, l'autrice l'enrichit de parcelles personnelles et littéraires, rehaussées par les écrits d'une trentaine de contributeurs inspirés (Geneviève Brisac, Jeanne Cherhal, Ivan Jablonka, Delphine de Vigan). Maître de conférence, Isabelle Roussel-Gillet estime que son « écriture blanche viendrait mettre au clair "l'obscurité du souvenir individuel ». Sa force ? L'intégrer à l'universel intemporel. Certains voient une mise à nue dans le fait de « faire de moi-même un être littéraire. » Chaque livre naît de ses entrailles sans filet de protection, tel un grand saut, travaillé au scalpel. « Je ne peux qu'écrire dangereusement, vraiment dangereusement. » C'est viscéral depuis son plus jeune âge, lorsqu'elle se cherchait encore. À la honte d'être une fille emplie de désirs, s'ajoute celle des origines sociales. Annie est l'enfant d'un couple d'épiciers-cafetiers. Une inégalité de classes qu'on retrouve chez Nicolas Mathieu, également présent dans ces pages. Pour elle, « la lecture était une manière d'attendre la vraie vie, celle d'adulte ». On grandit d'ailleurs avec elle, au fil de ses livres phare, Mémoire de fille, Les années, Passion simple ou encore L'événement, adapté par Audrey Diwan, Lion d'Or à la Mostra de Venise. L'amour, la sexualité ou le corps y tiennent une place centrale, y compris pour décrire la vieillesse ou la maladie. Mais cette féministe ardente et rebelle observe aussi le monde qui l'entoure. Pour la cinéaste libanaise Danielle Arbid, « il y a quelque chose de l'ordre de la révolte contre l'ordre établi, contre la société, et même contre le temps qu'elle voudrait figer ». Un thème flagrant dans Le jeune homme, qui relate la relation d'une femme mûre avec un étudiant, totalement épris d'elle. C'était visiblement « le signe d'une rencontre mystérieuse et d'une histoire qu'il fallait vivre », or « ce désir-là était sans issue. Par son existence même, il était ma mort. Comme l'étaient aussi mes fils. » En quelques mots à peine, Annie Ernaux parvient à tisser des fils entre Éros, Thanatos et l'écriture. Confirmant ainsi l'avis de la comédienne Dominique Blanc, « son œuvre est pure lumière ».

Annie Ernaux
Le jeune homme
Gallimard
Tirage: 50 000 ex.
Prix: 8 € ; 48 p.
ISBN: 9782072980084
Annie Ernaux
Cahier de l'Herne
L’Herne
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 33 € ; 320 p.
ISBN: 9791031903538

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