Avant-critique Roman

Alessandro Piperno, "La faute " (Liana Lévi) 

Alessandro Piperno - Photo © Philippe MATSAS/Opale/Leemage

Alessandro Piperno, "La faute " (Liana Lévi) 

Dans La faute, Alessandro Piperno relate la vie d'un homme incapable de se guérir de ses blessures de jeunesse et d'un formidable sentiment d'imposture.

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Par Olivier Mony
Créé le 15.12.2022 à 11h48 ,
Mis à jour le 23.01.2023 à 14h01

Loin de l'austérité d'un Erri de Luca ou d'un Claudio Magris, Alessandro Piperno incarne dans le champ littéraire italien contemporain, depuis la publication de l'éblouissant Avec les pires intentions (Liana Levi, 2006), une veine plus urbaine (et précisément romaine), plus cosmopolite, plus nimbée d'ironie aussi.

Tout entière marquée par une réflexion douce-amère sur les tours et détours de l'assignation identitaire et d'abord par celle reliée au judaïsme, son œuvre masque élégamment, par l'humour, les angoisses presque métaphysiques qu'elle documente. C'est pourquoi les noms de Woody Allen ou Philip Roth ont souvent été évoqués à son propos. On y rajoutera volontiers celui de Proust (auquel Piperno consacra un très vivifiant essai, Proust antijuif, Liana Levi, 2007) tant la fuite irrémédiable du temps est sans nul doute sa grande affaire.

Plus que jamais, c'est cette intranquillité-là qui est au cœur de son ample nouveau roman, La faute. Le narrateur et héros du livre s'y souvient des années cruciales de son adolescence marquées par une sorte de dégoût de soi et du monde, entre solitude morose et des parents chaque jour un peu plus mal assortis. Le père a rêvé d'Amérique, de rock, de belles voitures et de dolce vita et, sans renoncer jamais tout à fait à l'ouverture du champ des possibles, se retrouve représentant en matériel électroménager. La mère, aussi introvertie que son mari est ouvert, est une humble professeure tentant tant bien que mal (et plutôt de plus en plus mal) de subvenir aux besoins du ménage. Un jour, tout bascule pourtant. Un jour de Pâque juive, que le héros va fêter dans sa famille maternelle alors qu'il ignorait jusque-là tout d'eux et même qu'il pût être juif. Une nouvelle vie s'ouvre à lui, infiniment plus luxueuse, plus riche en possibles opportunités, sous l'égide de son oncle Gianni, un avocat séducteur à l'extrême, pour qui Rome ne serait jamais que quelque chose comme la grande banlieue de New York. Un drame survenu alors va attacher définitivement le narrateur à cette nouvelle famille. Tout change pour lui, tous les codes sociaux évidemment, et cela ne se fera pas sans peine. Cela pourrait même se révéler impossible et condamner le jeune homme à une sorte d'éternel exil intérieur.

La maîtrise romanesque de Piperno est ici portée à son pinacle. D'une certaine façon, La faute est une sorte de thriller psychologique, un récit d'angoisse en tout cas, charriant sans cesse son lot de malaise. Pourtant, même si la haine de soi et l'ombre portée de la dépression s'étendent à l'infini entre ces pages, il faudrait en dire aussi toute l'humanité, toute la tendresse finalement (comme dans le portrait du bouleversant personnage du père, hâbleur, aimant, blessé). Peut-être le monde est-il innocent et ceux qui l'occupent coupables, mais cette culpabilité-là est tissée de souffrance et de fragilité. Et toujours, le besoin de consolation impossible à rassasier.

Alessandro Piperno
La faute Traduit de l'italien par Fanchita Gonzalez-Batlle
Liana Levi
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24 € ; 464 p.
ISBN: 9791034907106

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