La critique ne date pas d'hier. Si au XVIIe siècle des vers de mirliton de Jean Loret ou d'Edme Boursault rendent compte de spectacles ou d'oeuvres, si la rhétorique savante d'un Georges de Scudéry sur Corneille ou d'un Donneau de Visé sur Molière existent déjà, la critique moderne, c'est-à-dire polémique et raisonnée, naît avec les Lumières et avec l'auteur des Salons. Diderot, dans ces textes littéraires d'un genre nouveau, non seulement décrira les tableaux vus dans ces expositions annuelles que sont les salons mais donnera aussi librement et rationnellement son jugement de ces peintures. La philologue Jacqueline Razgonnikoff, spécialiste du théâtre, réunit sous le titre Eloge de la critique un florilège de textes allant de Diderot, père de la critique moderne, à Barthes, consécrateur de ce type d'écriture comme art en soi, en passant par Voltaire, Octave Mirbeau, Sainte-Beuve, Théophile Gautier ou Paul Léautaud.

D'après François Truffaut, "on devient critique, par hasard, après avoir échoué dans la littérature". En revanche, pour Oscar Wilde qui préfigure la vision barthésienne, "le critique en tant qu'artiste" n'a rien d'un succédané d'écrivain : "Une époque qui n'a pas de Critique [sic] est une époque où l'art est immobile." Plaidoyer pro domo, direz-vous ? Non, cette anthologie est plutôt un rappel salutaire de ce qu'est la vraie critique. "Les critiques littéraires, héritiers du [Mercure Galant, première revue critique française fondée en 1672 par Jean Donneau de Visé], ne se contentent plus de raconter un ouvrage, >souligne Jacqueline Razgonnikoff, ils argumentent, ils attaquent, ils détruisent, ils louent." A l'heure de la blogosphère et d'un certain >déclin de la littérarité, ces textes nous permettent d'apprécier que la critique est aussi écriture et affirmation d'un goût : "[elle] doit, selon les mots de Baudelaire, être partiale, passionnée, politique, c'est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d'horizons."