Chronique Juridique

Première partie 

(Suite)

Évoquons le cas où plusieurs auteurs revendiquent la qualité d’auteur sur une même œuvre. Pour reconnaitre une telle qualité, le juge devra se livrer à une appréciation des circonstances de chaque cas d’espèce, et tranchera au regard de la contribution respective des différentes personnes dans le processus de la création de l’œuvre.

A cet égard, il convient de citer l’illustre arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 novembre 1973, ayant opposé les héritiers de Pierre-Auguste Renoir à ceux de Richard Guino.

Pour réaliser ses sculptures alors qu’il avait les mains paralysées, Pierre-Auguste Renoir avait recruté un jeune élève du sculpteur Maillol, Richard Guino. C’est ainsi que, entre 1913 et 1917, Guino modela plusieurs sculptures, lesquelles furent par la suite divulguées sous la seule signature de Renoir. Or, Guino disposait d’une certaine liberté de création dans la réalisation desdites sculptures, de telle sorte que son rôle ne se limitait pas à celui d’un « simple » exécutant. Les héritiers de Guino ont donc formé une action en justice dans le but de revendiquer la paternité de certaines des œuvres de Renoir.

Le 13 novembre 1973, la Cour de cassation a fini par rejeter le pourvoi formé par les héritiers de Renoir, et approuva la Cour d’appel en estimant que «  Guino n’avait pas été un simple modeleur qui n’aurait pas fait un geste sans une indication de [Renoir], qu’il travaillait seul pendant des heures parfois loin de [Renoir], qu'ainsi que l'avait indiqué l'expert, la comparaison des tableaux de [Renoir] et des sculptures litigieuses révélait que certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées par [Renoir] et marquaient « l'empreinte du talent créateur personnel de Guino » et enfin que les sculptures « auraient été autres si elles avaient été l'œuvre du seul [Renoir] » ». Il résulte donc que « Guino, conservant sa liberté de création, a exécuté chacune des sculptures litigieuses en coopération avec [Renoir] et a acquis sur celles-ci un droit distinct, les juges du second degré ont, à bon droit, déduit que Guino avait la qualité de coauteur, qui lui conférait nécessairement les attributs du droit moral dont la possession lui est déniée par le pourvoi, et que lesdites sculptures étaient des [œuvres] de collaboration et non des [œuvres] collectives ».

Par une décision rendue en date du 8 juillet 2022, le Tribunal Judiciaire de Paris juge irrecevable la demande de Daniel Druet, faute pour lui d'avoir assigné Maurizio Cattelan. De toute évidence, pour que les magistrats puissent se prononcer sur la demande en revendication de la paternité des droits d’auteur sur les œuvres litigieuses, le sculpteur aurait dû assigner l’artiste en personne, et non la galerie et la Monnaie de Paris organisatrices de l’exposition.

L’issue de la procédure n’est donc pas satisfaisante en ce que les juges ne se sont pas prononcés sur le fond du litige, en ne tranchant pas la question de la paternité des droits d’auteur. L’affaire a cependant le bénéfice de réactiver le débat sur la question de la titularité des droits d’auteur sur une œuvre à la création de laquelle ont participé plusieurs personnes.

Ainsi, en dépit du fait que le fond de l’affaire n’a pas été tranché, les arguments plaidés par chaque partie méritent d’être regardés de plus près…

Pour l’avocat de Daniel Druet, ce dernier « n'a pas été choisi par hasard » par Maurizio Cattelan. « S'ils voulaient un exécutant, ils n'avaient qu'à prendre un carreleur », a-t-il même déclaré. Daniel Druet soutenait en outre que, lors de la réalisation des sculptures de cire, Maurizio Cattelan lui a donné de bien maigres indications, lui laissant donc une liberté créatrice non négligeable. « Une idée n'est pas protégeable, il faut quelqu'un pour la réaliser » rétorqua l’avocat du sculpteur, de telle sorte que la qualité d’auteur doit être reconnue à Daniel Druet. « Si Maurizio Cattelan avait remplacé Daniel Druet, aurait-on les mêmes sculptures ? Non ! » poursuivit l'avocat.

En réponse à cet argumentaire, le conseil de la galerie Perrotin objecta que « même si l'on ne touche pas à la matière, même si l'on ne met pas le doigt dessus, dès lors que l'on donne des instructions, on peut être l'auteur exclusif d'une œuvre ». Il soutenait en outre, à l’exact opposé de la partie demanderesse, que les instructions données par Maurizio Cattelan au sculpteur étaient « d'une précision mathématique », pour ensuite qualifier Daniel Druet de « maillon interchangeable ».

Mais les éditeurs doivent être particulièrement attentifs aux noms qu’ils apposent candidement sur la couverture d’un livre (de la première à la quatrième en passant par les rabats) comme au cœur de celui-ci (pages de titres, de copyright, listes de personnes consultées et de « remerciements »…). La loi et la jurisprudence veillent au grain ;

De telles mentions de personnes ayant – ou non – réellement participé à l’élaboration d’un livre ne sont pas en effet sans incidence juridique : celle-ci est parfois fâcheuse sur la titularité des droits.

L’article L. 113-1 du CPI dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

La preuve de la qualité d’auteur est donc facilitée par une présomption : sont en mesure de revendiquer la qualité d'auteur tous ceux dont le nom a été porté à la connaissance du public à l’occasion de la première divulgation de l’œuvre. Il s’agit cependant d’une présomption simple, de telle sorte que la preuve de la qualité d’auteur est libre et peut être apportée par tout moyen.

Il n’en demeure pas moins que cette présomption ne dit mot sur le contenu même de la notion d’auteur. La jurisprudence a toutefois déduit des articles L. 113-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle que la qualité d’auteur est attribuée à ceux qui assurent la création intellectuelle de l’œuvre.

L’individu dont le patronyme est apposé sur un ouvrage devient donc a priorititulaire de droits de propriété littéraire et artistique.

En clair, le nom d’une personnalité, placé de façon ambiguë en couverture d’un livre qui lui est consacré mais dont elle n’a pas écrit une ligne, lui permettra de venir, en toute mauvaise foi, revendiquer une part des redevances d’auteur.

De même, il a déjà été jugé que la mention en page de titre du nom de cuisiniers, à qui avait été demandée la réalisation de plats destinés à illustrer un livre de recettes, leur a valu le rang de coauteurs aux côtés du rédacteur des textes et du photographe.

Nombreux sont donc les éditeurs qui cherchent à qualifier les ouvrages écrits à plusieurs d’œuvres collectives plutôt que d’œuvres de collaboration. Rappelons en effet que l’article L. 113-5 du CPI prévoit : « L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur. »

Mais, aux termes de l’article L. 113-2 du même code, « est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom ».

Il faudra donc être particulièrement vigilant sur le « générique » du livre et en particulier à la mention « sous la direction de ».

 

 

 

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