Chronique Juridique

L'originalité des photographies en questions (I/II)

L'originalité des photographies en questions (I/II)

Plusieurs décisions de justice récentes durcissent la possibilité pour certaines photographies d’être éligibles à la protection par le droit d’auteur et ce faute d’une originalité suffisante.  Et le débat a pris un tour nouveau à l’aune d’un intéressant rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA).

La propriété littéraire et artistique ne protège en effet que les œuvres « originales ».

Or, l’originalité est une notion dont la définition en propriété littéraire et artistique diverge de l’acception courante, comme l’a rappelé le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 13 juin 2013.

La condition d'originalité n'est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s'agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d'auteur.

Les juridictions assimilent l’originalité à « l'empreinte de la personnalité de l'auteur ». Il s’agit donc de la marque de la sensibilité de l’auteur, de sa perception d’un sujet, des choix qu’il a effectués et qui ne lui étaient pas imposés par ledit sujet. C’est une sorte d’'intervention de la subjectivité dans le traitement d'un thème. L’auteur a choisi de peindre le soleil en violet, d’écrire un chapitre sur deux en alexandrins, de transposer le petit chaperon rouge dans l’espace, etc. Tous ces parti-pris, qui ne sont pas obligés, témoignent de l’originalité, au sens juridique du terme.

L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle : elle bénéficiera donc de la protection du droit d'auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré.

De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s'apprécie chronologiquement – est nouvelle l'œuvre créée la première –, l'originalité est donc une notion purement subjective. Dès l'instant qu'une œuvre porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, qu'elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d'auteur.

Pour chaque type d’œuvre, la jurisprudence a élaboré des repères permettant de déterminer les traces de l’originalité. En matière littéraire, l'originalité se retrouve dans deux éléments : la composition et l'expression. La composition est l'ordonnancement des chapitres, le déroulement de la trame, la mouture, le plan. L'expression, c'est le style, le choix des mots et des tournures de phrase.

L'originalité d’un livre peut cependant ne résider que dans sa seule expression ou dans sa seule composition. C'est ainsi qu'une anthologie de fabliaux n'a d’originale que sa composition. L'auteur de l'anthologie ne pourra prétendre à une appropriation des textes choisis, mais pourra, en revanche, poursuivre en justice quiconque reprendra l'ordonnancement qu'il aura suivi. A l'inverse, une version romancée de La Belle au bois dormant sera originale par son expression, mais non par sa composition.

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que «  Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie sont sujettes à protection ».

Il faut cependant noter que la loi du 11 mars 1957, ancêtre du CPI, exigeait des photographies un caractère artistique ou documentaire pour les faire bénéficier de la protection par le droit d’auteur. La loi de 1957 a été modifiée par celle du 3 juillet 1985 qui a supprimé ces conditions. Mais toutes les photographies prises entre le 11 mars 1958 et le 31 décembre 1985 suivent encore ce régime particulier et doivent donc présenter un caractère artistique ou documentaire pour être protégeables.

Le caractère artistique se révèle dans un traitement particulier de l’image: angle, lumière, cadrage, etc. Il n’est pas cependant sans entraîner des discussions doctrinales pour déterminer si la valeur esthétique doit primer sur une notion d’effort personnel. Quant au caractère documentaire, il est indéniable qu’il varie, par exemple, selon l’époque à laquelle la photographie est prise en compte. Le cliché de la première communion de Benoît XVI révélerait aujourd’hui un caractère documentaire bien plus probant qu’il y a trente ans. Ces deux caractères – artistique et documentaire – ont d’ailleurs donné lieu à de nombreux débats devant les tribunaux. Ces débats ont de moins en moins cours aujourd’hui.

Il ne faut pas se leurrer sur la supposée banalité des photographies et tenter d’en tirer argument pour ne pas verser de droits à leur auteur[1]. Même des reproductions d’œuvres à deux dimensions (des clichés de tableaux, par exemple) peuvent être de nos jours considérées comme originales et donc protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.

Mais la Cour d’appel de Paris, le 30 mars 2022, a rejeté l’originalité du portrait d’une championne de boxe locale. L’affaire opposait La Voix du Nord à la Commune d’Hénin-Beaumont qui s’estimait titulaire de droits sur le cliché repris dans le quotidien. Les magistrats d’appel infirment la décision de première instance en soulignant qu’ils ne relèvent aucun choix spécifique de lumière, aucune mise en scène… Le sourire esquissé, « habituel en matière de portrait, ne constitue pas davantage un choix libre et créatif. Enfin, la circonstance que l’auteur du cliché a gommé au moment du tirage un hématome de la boxeuse sur son arcade sourcilière droite ne démontre pas plus une empreinte de la personnalité de l’auteur ».

En revanche, le 19 juin 2020, la Cour de cassation est revenue sur une décision des juges du fond ayant dénié toute originalité à 48 photographies représentant des monuments historiques parisiens reproduits dans un livre. Les hauts magistrats précisent que le « caractère réaliste des photographies est indifférent, l’originalité pouvant découler d’éléments de mise en scène, de cadrage, d’angle de prise de vue ou d’atmosphère. Ils considèrent que les images de la photographe donnent « à voir un même monument de façon différente, selon sa touche personnelle, révélant à la fois grandeur et familiarité, les partis pris singuliers de son regard ».

 

(à suivre)

 

[1] Cour d’appel de Paris, 10 décembre 1992, Gazette du Palais, 31 décembre 1993-1er janvier 1994, p. 12.

15.11 2022

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