Chronique Juridique

La cession de droits à titre gratuit menacée par les juges

Le nouveau tribunal de Paris - Photo Olivier Dion

La cession de droits à titre gratuit menacée par les juges

La 3ème Chambre du Tribunal judiciaire de Paris, celle-là même qui est chargée des contentieux en droit de la propriété intellectuelle, a rendu, en février 2022, un jugement très déconcertant concernant les cessions de droits à titre gratuit.

L’affaire portait sur des marque ainsi que des dessins et modèles liés à des dispositifs très techniques de balise recueillant des données fournies par les colliers de chiens de chasse…

Or, les juges 10 considèrent que, « aux termes de l’article 931 du code civil, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ». Il soulignent que « deux dérogations à ce formalisme sont admises en jurisprudence, la première tenant aux dons manuels, qui imposent la tradition (c’est-à-dire la remise physique) de la chose donnée, la seconde tenant aux donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme suivent celles de l’acte dont elles empruntent l’apparence. » et que « le code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations, et prévoit seulement, s’agissant des marques, que le transfert de leur propriété doit être constaté par écrit. 

Or, la cession des droits de propriété intellectuelle ayant été consentie « à titre gratuit », « il s’agit donc par définition d’une donation, non dissimulée et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique. L’acte, qui devait donc être passé devant notaire alors qu’il est constant qu’il a été conclu sous seing privé, est nul ».

Une telle solution avait déjà été donnée par la Cour d’appel de Versailles, le 20 janvier 1987, dans un arrêt resté isolé. Les plus intransigeants estiment que seule l’intervention d’un notaire peut valider un acte de gratuité.  Les magistrats de Versailles avaient considéré que la renonciation à un droit d’auteur au profit d’une société s’analysait juridiquement en une donation. Or, le contrat, qui était, comme c’est l’usage, un « acte sous seing privé » constituait à leurs yeux une « libéralité pure et simple, nulle faute de forme authentique ».

La décision du Tribunal judiciaire de Paris réouvre ce débat et met en péril toutes les cessions entre des auteurs, notamment universitaires ou investis dans une cause, et un éditeur.

La cession à titre gratuit est en effet une vieille habitude du monde de l’édition et notamment de revues.

Ce sont parfois des ouvrages réputés très difficiles qui voient ainsi le jour. Dans d’autres cas, une « bonne cause » est mise en avant. Parfois encore, aucun versement de droits ne compense des contributions modestes ou des apports de documents.

L’article L. 122-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) précise bien que « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux ». Mais l’article L. 131-4 du même CPI dispose que « la cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre (…) doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ».

Bref, forts de ces imprécisions légales, les juristes n’admettent les cessions gratuites qu’au prix de certaines précautions juridiques…

En général, le droit n’apprécie guère les engagements qui n’entraînent pas de contrepartie. En clair, la cession peut être gracieuse, si les raisons de cette gratuité sont expressément indiquées sur le contrat. L’éditeur doit donc préciser que l’auteur cède ses droits dans le but d’aider une cause humanitaire, de promouvoir l’image d’une discipline, etc.

C’est ainsi que le statut du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle - qui, depuis la loi du 3 juillet 1985, doit être conclue dans un document contractuel distinct du contrat d’édition -  a été soumis aux juges. La pratique a en effet rendu quasi systématique la conclusion de cet accord avec l’écrivain, sans qu’une contrepartie financière immédiate y soit attachée.

Toutefois, le 12 septembre 1990, la Cour d’appel de Paris a estimé que la cause – au sens juridique du terme – de la signature par l’auteur réside dans la publicité procurée par l’édition du livre.

Et les cessions à titre gratuit n’échappent pas aux règles de la propriété littéraire et artistique sur la nécessité de tout détailler.

Le 23 janvier 2001, la Cour de cassation a invalidé une cession de droits d’auteur consentie par Picasso aux éditions du Cercle d’art. L’artiste avait en effet rédigé un document précisant : « Je soussigné, Pablo Picasso (…), déclare léguer mes droits aux éditions du Cercle d’art (…) pour la reproduction des dessins de l’ouvrage Toros. » La Haute Juridiction a souligné « la nullité de l’acte litigieux qualifié de cession de droits d’auteur, sur le fondement des dispositions impératives de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle (…) qui ne stipulait aucune clause quant à la durée et à l’étendue des droits cédés ».

Le 29 avril 1998, la cour d’appel de Paris en a jugé de même à propos du créateur Kenzo, qui avait publiquement annoncé qu’il « offrait aux Parisiens sa création ». La cour a invalidé une telle « déclaration signée », soulevée en défense par une société.

En revanche, la même cour a remis en cause, le 18 novembre 2005, un accord aux termes duquel un photographe avait cédé des droits en contrepartie de la jouissance d’un voilier.

Le « 0 % » de droits est aussi régulièrement pratiqué que condamné. Car si la loi et la jurisprudence admettent la possibilité de céder une œuvre à titre gratuit, elles encadrent cette dérogation au principe de la rémunération des auteurs de grandes précautions. Le taux de 0 % est bel et bien prohibé puisqu’il déguise souvent une édition à compte d’auteur qui ne dit pas son nom.

Reste donc à savoir si le jugement du 8 février 2022 sera confirmé en appel ou suivi d’autres décisions lui emboitant le pas et prohibant les cession de textes et d’images sans contrepartie financière et ce en raison du tarif comme de la « lourdeur » liés à la signature chez un notaire.

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