Avant-critique Roman

Philippe Séguy, "Rouge venin" (Albin Michel)

Philippe Séguy - Photo © DR/Albin Michel

Philippe Séguy, "Rouge venin" (Albin Michel)

Construisant son intrigue autour de la relation entre Philippe d'Orléans et Philippe de Lorraine, Philippe Séguy a réussi un roman crépusculaire sous le règne de Louis XIV.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 30.04.2024 à 09h00

Que la fête s'achève. Ces deux-là se sont bien trouvés. D'une part, Philippe d'Orléans (1640-1701), dit Monsieur, frère puîné de Louis XIV auquel l'unissaient des sentiments ambigus. Le roi n'a jamais confié la moindre parcelle de pouvoir à son cadet de deux ans, s'en méfiait tout en tolérant ses caprices, ses excentricités, ses mœurs plus que dissolues, ses dépenses ruineuses pour la couronne, mais déplora sincèrement sa mort. D'autre part, un second Philippe, le chevalier de Lorraine (1643-1702), un prince de Guise, dont la devise était « Place à la bannière ». Ce Philippe-là était d'une beauté du diable, il ensorcelait hommes et femmes, se plaisant à pervertir les jeunes gens - le malheureux comte de Vermandois, fils bâtard du roi, en fit la douloureuse expérience dès ses 13 ans, avant d'aller mourir dans les Flandres trois ans plus tard -, et à fournir à son amant, Monsieur, de la chair fraîche. Saint-Simon dit aussi que Lorraine organisa l'empoisonnement d'Henriette Stuart, princesse d'Angleterre, première femme de Philippe d'Orléans, qu'il haïssait. En revanche, contre la seconde épouse du Prince, la Palatine, qui le détestait tout autant, il ne put rien faire.

Ce sulfureux personnage était un athée, un cynique qui s'ingéniait à séduire, à faire tomber les uns et les autres fous amoureux de lui, puis les abandonnait, sans un regret. Le jeune Paul de Saint-Alban, fils du gouverneur de la forteresse du château d'If, où Philippe de Lorraine fut un temps incarcéré, tombé amoureux éperdu du prisonnier, fut ainsi conduit au suicide. Quant à sa maîtresse Marie Mancini Colonna, la nièce de Mazarin - lequel aurait dépucelé le futur Louis XIV -, il la persuada que le roi l'aimait encore, la fit s'enfuir de Rome, mais elle ne recouvra jamais la faveur du souverain.

Que d'intrigues, de cruauté, de vies brisées, pour si peu : le plaisir éphémère, le pouvoir de disposer des autres, l'ivresse de mener un train fastueux. Tout cela sonne creux et finira mal : à Philippe d'Orléans, mort d'apoplexie en 1701, Philippe de Lorraine ne survécut que quelques mois, seul, sans ressources, malade, sa beauté flétrie, ses fameux yeux mauves éteints...

Cette fin crépusculaire, qui rappelle Que la fête commence, le chef-d'œuvre de Bertrand Tavernier - le Régent débauché n'étant autre que le fils de Monsieur - donne au superbe roman de Philippe Séguy toute sa profondeur, sa noirceur, pressentie dès le début. Les deux Philippe, l'un amoureux fou de l'autre qui le manipulait, le maltraitait, et le ruinait, l'autre volage, égoïste, ignoble, composent un couple infernal, dans un monde qui ne l'est pas moins : celui de la cour du Roi-Soleil, en ses différents châteaux et palais, dont Versailles. Lorraine, lui, du temps de sa splendeur et des faveurs de Monsieur, avait ses appartements au Palais-Royal. Ça ne s'invente pas.

Toute cette sombre histoire est contée épisode par épisode, fidèlement à la vérité mais sans pesanteur érudite aucune, et dans un style brillant. Historien, vulgarisateur, journaliste, biographe éclectique, Philippe Séguy réussit ici un modèle de roman historique.

Philippe Séguy
Rouge venin
Albin Michel
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 352 p.
ISBN: 9782226470263

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