30 janvier > Essai France

Les suffragettes ne se sont pas battues pour rien, le droit de vote des femmes est partout acquis de par le monde, certaines ont même accédé à la fonction suprême. Nulle carrière à laquelle elles ne puissent aspirer : on les retrouve juge, militaire et même archevêque (l’Eglise réformée de Suède)… Pour autant, dans les emplois peu qualifiés ou l’artisanat, on constate la permanence d’une distribution des tâches selon le genre. Alain Testart s’est penché sur la question.

Auteur en 1986 d’une étude, Les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, l’anthropologue décédé en septembre 2013 élargit sa réflexion. D’emblée, il balaye la vision de femmes n’ayant eu accès au monde du travail que depuis les apports de la lutte féministe. Excepté dans la noblesse, puis la bourgeoisie "les femmes ont toujours travaillé". Non seulement dans le cadre domestique, mais également dans toute autre activité susceptible de contribuer à l’économie du foyer. Cela dit, l’étude de l’Américain G. P. Murdock sur 185 sociétés traditionnelles que cite Testart montre une tendance universelle à la division du travail. Celle-ci se constate aussi bien chez les Aborigènes d’Australie ou les Inuits de l’Arctique que les Pygmées d’Afrique centrale. Aux femmes, les emplois aux matières molles (poterie, vannerie, tissage) ; aux hommes, les durs métiers de la forge ou de la mort (chasse, boucherie). Dans les pays industrialisés, les femmes travaillent plutôt dans le textile que dans la sidérurgie ; chez les pêcheurs, la présence féminine est nulle ; quant à l’art cynégétique, le sexe dit faible en est exclu (1,5 à 2 % de chasseurs femmes en France).

Dans la civilisation de la chasse-cueillette, les hommes sont chasseurs et les femmes cantonnées à la cueillette. Pourquoi ? Les raisons biologiques selon lesquelles les femmes portant les enfants, ne sont pas à même de courir après le gibier, etc., ne tiennent pas. Qu’est-ce qui empêcherait une mère en dehors de sa période de maternité d’aller chasser ? Certains types de chasse sont du reste pratiqués par les femmes : par enfumage ou au gourdin. L’impossibilité est naturelle, et l’interdit culturel. Aussi Alain Testart établit-il un lien entre prohibition et chasse avec effusion de sang : les femmes qui perdent périodiquement leur sang et donnent la vie n’ont pas le droit de répandre le sang. Sang réel ou symbolique, ce tabou du sang explique pourquoi l’Eglise catholique refuse aux femmes la fonction du prêtre qui consacre le pain et le vin, à savoir le corps et le sang du Christ. Les croyances sont au cœur de l’attribution des tâches selon les sexes encore attestée aujourd’hui. Ainsi le démontre cet essai du champion d’une "sociologie générale" de manière passionnante. S. J. R.

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