Edition

J’ai lu jalonne l’année de multiples événements pour célébrer ses 60 ans. Actes Sud a fêté ses 40 ans au Bon Marché ce printemps. Sonatine s’apprête à honorer ses 10 ans à la fin du mois sur les bords de Seine. Bamboo clôturera ses 20 ans par une soirée d’ampleur le 6 octobre. Rue de Sèvres achèvera de célébrer ses 5 ans au Festival d’Angoulême, qui sera également le théâtre du lancement des 50 ans de Glénat… En 2018, plus d’une douzaine d’éditeurs commémorent leur acte de naissance, une tradition qui reprend de la vigueur dans le secteur.

Prompts à faire la fête, les éditeurs aiment célébrer leurs anniversaires. L’exercice, modulé selon le nombre des années célébrées, apparaît comme un levier commercial et de communication fort, notamment auprès des autres acteurs de la chaîne du livre. "Fêter un anniversaire constitue une bonne opportunité de mettre en œuvre une communication différente envers ses partenaires et auprès du grand public, de casser la routine", confirme Olivier Goulet, fondateur de l’agence d’études Iligo (voir p. 18). "Penser un anniversaire, c’est aussi une façon de faire le point et de regarder ce qui a été fait. Cela reste un moment important dans un métier toujours tourné vers la saison ou l’année qui vient", ajoute Odile Josselin, la directrice de Pastel qui vient de fêter ses 30 ans en mai. Réaffirmer son identité auprès de ses partenaires, souder ses équipes, célébrer la cohérence d’un catalogue, remercier auteurs et partenaires ou simplement faire la fête, les raisons ne manquent pas de célébrer les années passées.

Réaffirmer son identité

Message principal: rappeler qui on est et d’où on vient, sa logique éditoriale et son positionnement. Directeur général de L’Ecole des loisirs, Louis Delas a profité des 50 ans de la maison, en 2015, pour marteler auprès de ses partenaires: "La profession de foi et le projet de L’Ecole des loisirs,ce sur quoi nous nous sommes bâtis et ce qui fera les fondations des cinquante prochaines années : notre indépendance et notre liberté économique, prérequis indispensable pour développer un catalogue de création."

Chez Actes Sud, le soin de raconter cette identité a été confié à l’artiste et auteur de la maison Brecht Evens, qui a réalisé une "Fresk". "Plus qu’une histoire linéaire d’Actes Sud, il s’agit d’une évocation des temps forts, souvenirs et anecdotes, d’une représentation des lieux, d’extraits de romans et de moments de la vie quotidienne qui caractérisent une maison d’édition", détaille Estelle Lemaître, directrice de la communication. Déclinée sur de multiples supports, l’œuvre a également servi de toile de fond au pop-up store installé en mars au Bon Marché.

Plus économe, Sonatine a resserré son programme éditorial de l’année autour des auteurs et des sujets qui ont fait la maison, thrillers, romans noirs ou historiques, "une manière de dire que nous allons continuer sur ces axes", explique Léonore Dauzier, directrice commerciale, marketing et communication.

Projeter une nouvelle image

Tout en réaffirmant ses valeurs et son identité, Leduc.s entend profiter de ses 15 ans, célébrés depuis mars, pour ancrer dans l’esprit de ses partenaires un "changement d’image", indique Karine Bailly de Robien, directrice éditoriale du groupe: "Nous sommes toujours indépendants, mais nous ne sommes plus un petit éditeur. En 15 ans, nous sommes entrés dans la cour des grands." Elle s’appuie sur la quinzaine de dîners organisés en province avec des libraires pour marteler ce message, avec quelques chiffres significatifs: le groupe produit 350 nouveautés par an, rassemble 7 marques éditoriales, vend 10 millions d’exemplaires et figure au 40e rang du classement Livres Hebdo de l’édition française en 2017.

Même stratégie chez Glénat, qui, plus qu’un retour sur le passé, opérera lors de ses 50 ans en 2019 "une projection sur les 50 prochaines années et l’esquisse de ce que sera le Glénat seconde génération. L’idée est de montrer que nous restons dynamiques, audacieux et libres de nos choix", annonce Marion Glénat-Corveler, directrice du pôle jeunesse et fille aînée du fondateur du groupe. Pour ses 20 ans, Olivier Sulpice, fondateur de Bamboo, inaugurera ses nouveaux bureaux. Son anniversaire l’a forcé "à faire un bilan. J’ai réalisé que je n’avais rien fait de spectaculaire ces dernières années. J’ai donc cherché de nouveaux développements pour rester dynamique sur les 10 prochaines années. J’ai alors créé ma diffusion."

Présenter un catalogue

Plus aisée lorsque les maisons sont anciennes, la célébration d’un fonds passe souvent par une exposition. Pour son centenaire, Gallimard en a déployé des formats variés en France et à l’étranger, dont la plus riche à la Bibliothèque nationale de France. Celle montée par L’Ecole des loisirs avait une dimension pédagogique. De même, pour fêter les 30 ans de Pastel, Odile Josselin a composé onze panneaux représentant des extraits d’albums emblématiques accompagnés de leur texte. "C’est une belle façon de mettre en lumière la diversité du catalogue et sa cohérence, le fait que les livres s’entendent bien entre eux et se parlent", observe l’éditrice.

Remercier les partenaires

Fêter un anniversaire permet aussi de saluer ses partenaires, libraires, bibliothécaires, agents, journalistes, blogueurs ou influenceurs, sans oublier les auteurs. Discret "parce qu’il s’agit de ne fêter que les 5 ans de la maison", Rue de Sèvres, le label BD de L’Ecole des loisirs, réservera ses célébrations à ces derniers. "Nous y ferons un point d’étape et partagerons avec eux le fait que le projet éditorial de départ, pour lequel ils nous ont accompagnés, était le bon", explique Agathe Jacon, responsable promotion et développement de L’Ecole des loisirs. Pour ses 20 ans, La Fabrique concentrera ses efforts sur les libraires en leur offrant un livre anniversaire. "Depuis le départ, ils accompagnent la maison et en sont le poumon", explique l’éditeur Jean Morisot.

Les libraires sont particulièrement choyés. En mai 2019, Glénat en emmènera 80 au Japon pour "leur faire découvrir les coulisses du manga", explique Marion Glénat-Corveler. Chez Leduc.s, outre les dîners et rencontres organisés pour les libraires - un format également choisi par Le Serpent à plumes, qui fête ses 30 ans -, journalistes et blogueurs sont conviés à une journée portes ouvertes où ils découvriront le fonctionnement du groupe et ses aspects méconnus.

Faire du commerce

Même si ce n’est pas l’objectif premier des anniversaires, toute célébration s’accompagne d’un dispositif promotionnel et commercial d’ampleur variable. A minima, les éditeurs proposent des opérations sur le fonds et des vitrines. Libretto, qui fête ses 20 ans, et Sonatine en profitent également pour rééditer en version collector une série de titres emblématiques de leur catalogue, commercialisés en fin d’années.

J’ai lu marque le coup en lançant trois nouvelles collections, un nouveau format consacré au roman graphique ("J’ai lu sort des cases"), et un nouveau segment, le développement personnel professionnel, sur lequel les premiers titres paraîtront à la rentrée. Chaque mois, l’éditeur envoie aussi un livre coup de cœur de la maison, qui bénéficie d’un dispositif particulier. Pour Jocelyn Rigaud, directeur de la filiale poche de Flammarion, "c’est une manière de réaffirmer notre identité de maison en mouvement depuis 60 ans et de fournir des outils supplémentaires pour promouvoir les livres".

Une pratique en pleine recrudescence

Olivier Goulet- Photo ILIGO

Olivier Goulet est président fondateur de l’institut Iligo, une agence d’études et de conseil en marketing et comportement client.

Livres Hebdo - Fêter un anniversaire est une pratique courante dans l’édition. Est-ce le cas dans d’autres secteurs ?

Olivier Goulet - On constate une recrudescence de ce genre d’opérations depuis un an, notamment dans la grande distribution. Les grandes marques se servent de ces événements pour renouveler les relations qu’elles entretiennent avec leur réseau de distribution comme avec les consommateurs. Cela casse la routine et leur permet de se différencier en montrant la profondeur de leur portefeuille et de leur catalogue.

Les éditeurs en profitent souvent pour raconter leur histoire et affirmer leur projet éditorial. Qu’en est-il pour ces grandes marques ?

Elles pratiquent aussi volontiers le storytelling, racontent d’où elles viennent et détaillent leurs valeurs. Elles en profitent pour exprimer leur vision de leur marché et leurs axes de développement. Toutefois, dans la distribution, le volet commercial est nettement plus affirmé. Dans l’édition, il s’agit encore d’une communication d’image, surtout auprès du grand public.

L’édition peut-elle trouver des sources d’inspiration dans ce qui se fait ailleurs ?

Il y a encore beaucoup de choses à explorer. Le groupe LVMH, par exemple, ouvre depuis 2011, lors de "journées particulières", les portes de certains de ses ateliers. Il propose des visites guidées et des conférences, on pourrait imaginer qu’un éditeur profite d’un anniversaire pour dévoiler les coulisses de son métier et expliquer en quoi il consiste.

Ces anniversaires qui ont marqué l’édition

Point d’orgue du centenaire des éditions Gallimard, une partie de la rue Sébastien-Bottin devient rue Gaston-Gallimard le 15 juin 2011. - Photo OLIVIER DION

Par son ampleur et la variété des événements qui l’ont accompagnée, la célébration en 2011 du centenaire de Gallimard restera comme un moment clé dans l’histoire de l’édition française. Attendus pour leur aspect patrimonial, célébrés tout au long de l’année par de multiples publications, manifestations, opérations commerciales et expositions, les 100 ans ont marqué en raison "des larges dimensions qui ont été couvertes, de l’aspect très scientifique avec des colloques pointus à des champs beaucoup plus ouverts, comme cette fête mémorable dans les jardins de la maison", se souvient Alban Cerisier, secrétaire général du groupe Madrigall.

Les 50 ans de Robert Laffont, en 1991, ont été également mémorables. "Une très grosse fête a été organisée place Saint-Sulpice, à Paris, où la maison avait fait monter un chapiteau pour accueillir les quelque 500 invités, dont certains très notoires, témoigne Antoine Caro, directeur général adjoint de Robert Laffont. Mais cette démesure n’est plus envisageable aujourd’hui. Le contrôle exercé sur les dépenses est beaucoup plus strict."

Pour autant, et même si elles sont moins fréquentes, les soirées d’envergure n’ont pas déserté l’édition. En 2010, pour fêter ses deux ans et un démarrage en fanfare de la maison, marqués par des succès commerciaux quasi immédiats, François Verdoux et Arnaud Hofmarcher, cofondateurs de Sonatine, privatisent le Bus Palladium, une institution des nuits parisiennes. "Au-delà du lieu décalé, nous avons réellement fait une fête de copains, loin de toute idée promotionnelle. L’alchimie a pris très vite, c’est pour cela que ça a marqué", raconte Léonore Dauzier, directrice commerciale, marketing et communication de Sonatine. Un état d’esprit que la maison souhaite conserver à l’occasion de la soirée organisée pour ses 10 ans et qui se déroulera sur les bords de Seine avant l’été.

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