On ne couche pas un poème sur le papier comme on tracerait un plan pour la construction d'un édifice. Un poème vous irrigue secrètement l'âme, habite votre corps, en arrose les souvenirs ; il vous guide à travers des images et des émotions et vous fait parfois traverser le Styx, vous ramenant de l'autre rive tout ébaubi. C'est alors que viennent les mots. Avec L'œil du moine, Cees Nooteboom, également auteur de fiction et d'essais, revient à la forme poétique. Se présentant en diptyque, le recueil se compose d'une série de poèmes, qui donne son titre à l'ouvrage, et d'Adieu : Poème au temps du virus.
La première partie éponyme dessine la topographie d'un espace intérieur fait d'horizons fuyants, d'animaux, de nature, de pierres, et traversé de visiteurs à l'aura mystérieuse. Il y a sa mère, quoique disparue, si présente, sa première amante morte elle aussi, mais « dont la voix survit, cri rauque d'un premier désir dispersé par le vent. »Adieu, écrit en partie lors du confinement, est dédié à ses « amigos isleños », feu le couple d'amis de l'île de Minorque. L'élégie ne chante pas tant la mort que son impossibilité. Les sensations sont vives dans le membre sevré de l'amputé. Plus que du défunt, c'est de sens qu'on est endeuillé. Mais l'oiseau dans le ciel lui sait où va l'itinérant : « Il connaissait mon chemin. Tant de chemins/parcourus, toujours en quête de ce qui/devait être un peu loin et, découvert/enfin, disparaissait tel un mirage/ou reparaissait en poème. »
L'œil du moine suivi de Adieu Traduit du néerlandais par Philippe Noble
Actes Sud
Tirage: 1 800 ex.
Prix: 14,50 € ; 112 p.
ISBN: 9782330155667