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Bibliothèques : le livre comme arme de survie

Sur le front de Daraya. - Photo Ahmad Moudjahed

Bibliothèques : le livre comme arme de survie

Les bibliothèques informelles qui fleurissent en Syrie, en Palestine et dans les camps de réfugiés témoignent du rôle de la lecture comme symbole de résistance, d’éducation et d’intégration.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 22.09.2017 à 13h49

Penché sur les ruines d’une maison, un Syrien d’une vingtaine d’années exhume un livre recouvert d’une poussière grisâtre. Une fois nettoyé et répertorié au nom de son propriétaire, l’ouvrage rejoindra l’une des étagères de la bibliothèque secrète de Daraya.

A huit kilomètres de Damas, capitale de la Syrie, la ville a été l’un des berceaux de la révolution pacifique de 2011. Entre novembre 2012 et août 2016, Daraya a été assiégée, bombardée, aspergée de gaz sarin et de napalm, et détruite à 90 % par le régime de Bachar al-Assad. Entre 4 000 et 8 000 civils sont alors prisonniers de leur ville devenue fantôme. Une quarantaine d’entre eux fouillent régulièrement les décombres pour sauver des livres.

Bibliothèque ambulante à Idlib, au nord-est de la Syrie, à destination des femmes et des enfants.- Photo AHMAD MOUDJAHED

Pendant un an, la journaliste Delphine Minoui a suivi, par écran interposé, le combat d’Ahmad, Shadi, Ustez, Omar et Hussam pour sauver une partie de leur patrimoine littéraire. Dans Les passeurs de livres de Daraya (1), elle donne une voix à ces "héros anonymes qui se sont opposés à l’horreur de la guerre par la beauté des mots".

Une nourriture psychique vitale

Alors que les ressources vitales - nourriture, eau potable, médicaments - manquent dans les camps de réfugiés et dans les zones sous tension comme la Syrie et la Palestine, certains misent sur le livre pour trouver une bouée de sauvetage. "Le livre est une nourriture psychique vitale", assure le neuropsychiatre Boris Cyrulnik interrogé par Livres Hebdo. Selon Jean-François Verlhiac, professeur de psychologie sociale à l’université Paris 10-Nanterre, la lecture peut participer à l’élaboration de stratégies de "coping", stratégies psychologiques de défense qui permettent de faire face à des situations traumatisantes.

"La plume est plus forte que l’épée. La violence n’est pas la solution à nos problèmes." Mosab Abu Toha, Edward Saïd Public Library- Photo DR

A la faim qui les tenaille, les personnes vivant en zone de tension opposent une soif de lecture. Le livre devient un refuge, un "compagnon rassurant" et un "palliatif salutaire", comme l’ont expliqué de jeunes Syriens à Delphine Minoui. "Avec la lecture, on peut s’évader loin d’une situation difficile", précise Mosab Abu Toha, jeune Palestinien de 24 ans et fondateur de la Edward Saïd Public Library, première bibliothèque anglophone de la bande de Gaza qui a ouvert ses portes le 22 août dernier. Les mots ouvrent les portes d’un imaginaire grâce auquel on "pense à autre chose, ce qui procure du répit dans un quotidien pénible", explique Jean-François Verlhiac.

Dans leur refuge littéraire, les lecteurs puisent une source de résistance face aux dictateurs qui les oppressent. Les usagers de la bibliothèque secrète de Daraya ont lu les témoignages des survivants du siège de Sarajevo (1992-1996). "Cette lecture a eu un effet miroir : ils se sont nourris de cette expérience similaire pour en dégager une leçon d’histoire et un espoir", indique Delphine Minoui. "La plume est plus forte que l’épée", rappelle Mosab Abu Toha avant d’ajouter que "la violence n’est pas la solution à nos problèmes". A travers sa bibliothèque, il prône la compréhension de l’histoire et de la culture des autres pour résoudre les conflits par le dialogue. Pour Jean-François Verlhiac et Boris Cyrulnik, par la lecture d’un récit, les personnes qui ont un quotidien pénible cherchent à comprendre leur situation et à trouver des réponses, ce qui s’inscrit dans un processus de coping de type émotionnel ou de résilience.

Transgression et émancipation

Cette quête de réponses s’accompagne d’un objectif primordial : l’éducation. "Alors que Bachar al-Assad utilise le livre comme objet de propagande et de manipulation, le livre est devenu un objet de transgression et d’émancipation. Avec leur bibliothèque, Ahmad et les autres ont bénéficié de cours de rattrapage sur leur histoire", souligne Delphine Minoui. Désormais réfugié à Idlib, au nord-est de la Syrie, Ahmad perpétue, du haut de ses 25 ans, l’esprit de Daraya avec la création d’une bibliothèque ambulante à destination des femmes et des enfants, dont le fonds est approvisionné par des libraires de Damas.

Le livre s’impose également comme vecteur d’intégration. Mary Jones, fondatrice d’une bibliothèque dans l’ancienne "jungle" de Calais, ainsi qu’Esther ten Zijthoff et Laura Samira Naude, créatrices d’une bibliothèque mobile pour les réfugiés en Grèce, sont unanimes : les réfugiés "veulent terminer leurs études et trouver un travail" dans leur pays d’accueil. Malgré leur volonté commune de proposer des cours de langue ou des ressources éducatives numériques, les trois femmes se sont rendu compte que les dictionnaires ou les ouvrages qui permettent l’apprentissage d’une langue étrangère sont les plus demandés. "Le livre physique représente une sorte d’ancre dans un environnement imprévisible", analyse Esther ten Zijthoff.

Dans les camps, leurs bibliothèques sont rapidement devenues des lieux de rencontres et de socialisation. Mary Jones se souvient notamment de ces groupes de réfugiés qui se rassemblaient pour partager leurs centres d’intérêt culturels communs. "La lecture est socialisante, elle permet de rencontrer et de partager", confirme Boris Cyrulnik. A Istanbul, puis à Amsterdam, où il est désormais exilé, Sami al-Kadri, ancien éditeur jeunesse en Syrie, a ouvert Pages, à la fois centre culturel et librairie, afin d’offrir un espace de rencontres entre Syriens et Néerlandais. Pour lui, Pages est aussi une manière de préserver la culture syrienne. La protection du patrimoine syrien est la mission première du père dominicain Michaeel Najeeb. Dans son témoignage Sauver les livres et les hommes (2) ce prêtre syrien explique son combat pour numériser des manuscrits anciens menacés par Daesh. Bien qu’il reconnaisse que son combat semble "dérisoire", il lui paraît nécessaire de "prendre soin du passé" pour éviter d’autres massacres.

Si le livre, d’un point de vue individuel, aide à surmonter un quotidien pénible et des traumatismes liés à la guerre, il est aussi le catalyseur de la mémoire des peuples. Et comme l’assène Michaeel Najeeb dans son témoignage, "un peuple sans racines, c’est un peuple mort".

(1) Les passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie, de Delphine Minoui, Seuil, parution le 5 octobre.

(2) Sauver les livres et les hommes, de Michaeel Najeeb, Grasset, parution le 11 octobre.

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